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NB : Etant absent au échanges de Nantes, je risque je le crains, d’enfoncer des portes déjà ouvertes, ou de prendre des chemins déjà rebattus… Je m’en excuse par avance.
L’une de ces probables « portes ouvertes » concerne le fait que les chaconnes d’Arlequins ne sont pas forcément le répertoire pour lequel la parenté (filiation ?) entre la « belle-danse » et les danses de caractères sera la plus intéressante à travailler, du fait de la particularité du contexte de composition de ces pièces, et de surcroît parce qu’elles n’offrent, par leur grandes similitudes, qu’un matériau de pas restreint par rapport à la profusion que l’on peut recenser dans les chorégraphies liées à des personnages, comiques ou de caractères. Je pense à ce sujet particulièrement aux danses d’espagnol(e)s, ou aux nombreuses danses de matelots, pour couples ou en solo. Évidemment, le corpus est ici plus lourd à dépouiller, mais vaut sans doute la peine d’être mis en rapport avec les danses de caractères dont les titres, au moins, favorisent le rapprochement.
Une particularité, me semble-t-il : l’importance des motifs parodiques de la Belle Dance, en tout cas dans la chaconne du Descan et celle de La Rousseau.
Toujours sur la question du « corpus », je voudrais pointer qu’il existe deux autres partitions Feuillet qui ont un lien – même lointain - , avec les personnages de la Commedia dell’arte.
FL/1713.2/26 : Entrée de deux femmes, dansée sur l’Air des polichinels des Fêtes Vénitiennes de Campra. La notice du catalogue de Francine Lancelot indique que dans le livret les deux danseuses sont des Espagnolettes... L’air pour des polichinelles : l’écriture est bien italianisante. Mais d’après les livrets et la partition manuscrite de l’Opéra, la chorégraphie représente bien des Espagnolettes : le projet du musicien n’a pas été réalisé. Donc le cas n’est pas probant. Alors ? A la première lecture, la chorégraphie, en tout cas ne présente pas de « caractère » très accusé (pas de tortillés, importance des pas de parcours, plusieurs pas de Gavotte (Contretemps+assemblé), et un ornementation moyenne (battus) – on peut toutefois relever la présence de beaucoup de pas sautés, et de plusieurs épaulés).
FL/Ms05.1/25 : sur le même air des Polichinels, une entrée pour homme seul, sans titre, qui demande plus de virtuosité technique. Je n’ai pas cette chorégraphie – j’en suis réduit à ne pouvoir conclure sur l’intérêt ou non de cette piste. Il serait intéressant de comparer avec le Gaudrau. En tous les cas, cette pièce ne comporte sans doute aucune marque spécifique de théâtralité, de jeu, et propose au mieux, un traitement purement chorégraphique du personnage, si l’on veut croire que c’en est un qui danse cette chorégraphie.
Au-delà de ces faibles pistes, je souhaiterais aussi vous faire part de quelques réflexions qui me sont venues à la lecture des “réactions de Baptiste Guillard“.
S’il est vrai que la chaconne est très fortement caractérisée musicalement, on ne peut pas en dire autant, je crois, du point de vue chorégraphique : - Comme pour les autres pas de la belle danse, le « contretemps de chaconne » n’est pas du tout spécifique à ce genre de danse.
- L’ampleur des chorégraphies qui nous sont parvenues est très variable (Phaéton : 152 mesures !)
À noter que les chaconnes d’Arlequins sont relativement courtes et de la même longueur !!! (56 mesures). 56 est multiple de 4. En fait, il faudrait voir si les carrures sont les mêmes. Sinon, c’est une simple coïncidence.
- Généralement, il semble que les chaconnes relèvent du style noble (Amadis : héros et héroïnes) - avec la technicité qui va avec - mais a contrario la chaconne de Phaéton est dansée par des Éthiopiens ou des indiens (caractères ? c’est douteux). D’après Bertrand Porot, il existait bien un genre de chaconne comique.
- La composition chorégraphique ne s’appuie pas forcément “littéralement“ sur la carrure musicale (variation sur les 4 mesures de la basse obstinée) : si certaines chorégraphies (Phaéton) s’appuient parfois sur des enchaînement de 4 mesures, avec répétition du symétrique, ce n’est que par intermittence, et d’autres chorégraphies n’obéissent pas du tout à ce principe (chaconne de Delalande, etc). Dans celles d’Arlequin par contre, ce procédé de répétition de l’enchaînement est très présent, mais avec parfois de surprenants chevauchements par rapport à la musique.
Ceci invite plutôt à aborder ces trois chaconnes d’Arlequin comme un corpus “autonome“ de pas. Ce sont des formules en rapport avec le “caractère“ d’Arlequin. Sans aller jusqu’à les considérer comme un petit « genre », on peut relever entre elles de très importantes similitudes :
- Même s’ils sont dans un ordre différent, on retrouve des enchaînements quasi identiques, qui donnent à penser à des citations (sinon d’une chaconne à l’autre, du moins d’un répertoire commun, voire obligé, d’enchaînements – ou a-t-on affaire à une sorte de code, de formulaire rhétorique dont nous n’avons pas les clés ? ).
-La première phrase chorégraphique obéit toujours au même principe (ou motif) : avancée avec des pas “battus“, et Révérence(s). C’est ce qu’explique Edith [Lalonger]. Il existe un article de Deda Colonna, étude comparative des trois chaconnes. Elle relève effectivement les similitudes.
- Espace très frontal, et assez pauvre : avancées, reculs ; aller-retour de côté par rapport à la médiane (symétriques ou non). Mais aussi dans les 3 cas : une incongruité par rapport à la composition chorégraphique du solo à l’époque : une marche plus ou moins stylisée sur un cercle. Je me demande si la fin de Le Rousseau n’est pas une parodie de la chaconne pour femme de Phaéton.
- Pour ce qui est du caractère mimé de ces danses, je pense qu’il faut garder une certaine prudence : hormis pour le première séquence (arrivée et révérence), il n’y a presque aucune marque de bras ou de mimiques : la main gauche à l’épée et la droite au chapeau p. 16 de DESCAN, et des ronds du bras, immobile ou sur des chassés qui reculent, des coups de têtes après des soubresauts (Rousseau), mains au chapeau chez La Montagne sur des tortillés - Les figurines de Rousseau sont-elles des indications ? La figurine des soubresauts donne à le penser, mais cela reste bien imprécis. A noter qu’il existe un partition non consultable qui contiendrait des « marques d’Arlequin » (FL/Ms05.2/01)
En tout cas, tout cela est très insuffisant pour déterminer le jeu – ou l’absence – des bras. Une hypothèse, parmi d’autres : ces danses mêleraient des séquences mimées, et d’autres plus “chorégraphiques“, sans rupture : c’est ce qui me semble, surtout si les parties « chorégraphiques » sont parodiques, la danse étant elle-même un discours même s’il n’est pas littéral.
- Il faudrait bien sûr détailler certaines unités de pas, qui paraissent spécifiques – et qui n’ont pas vraiment de nom...- J’ai l’impression que ces pas ont une certaine parenté avec ceux utilisés dans certaines danses de Paysan, mais c’est une autre histoire, à travailler peut-être.
En fait, peut-on vraiment opérer une séparation entre des “pas d’Arlequin“ et des pas de Belle-danse ? D’autant que le système de notation Feuillet ne nous donne que les « articulations » du mouvement, pas son amplitude ou sa qualité. Dès lors, comment interpréter ce qui est écrit comme un coupé battu, voire un contretemps battu en tournant fini 3e, qui relève du vocabulaire des entrées nobles d’homme ? Cela, n’est-ce pas justement parodique ?
L’enjeu de ces chaconnes serait-il la parodie ? (6 coupés de mouvement à la suite ( !) – je pense aussi à Arlequin imitant la Chaconne d’Amadis à la fin d’Arlequin Jason-1684). Et Arlequin Baxter singeant le Caprice de la Prévost en 1711.
Y a-t-il une application possible de critères similaires dans une étude des danses de Polichinelles ?
Pour ma part, quitte à dire des évidences, j’ai le sentiment qu’il ne faut pas tant aborder ces danses en fonction de leurs caractéristiques techniques que par ce qui en fait des pièces à chaque fois singulières, en cherchant à comprendre le système de composition propre à chacune, leur fonction dramaturgique, et bien sûr leur contexte de création, ainsi que leur rapport à une culture de la danse donnée (citation, imitation, parodie...). Je veux dire par là que je ne mets pas en doute la nécessité pour les danseurs de travailler avec des acteurs, mais je crois que cela ne résoudra pas les problèmes spécifiquement chorégraphiques que posent ces pièces.
À ma connaissance, on ne possède pas de certitudes quant à la finalité dramaturgique de ces chaconnes (Bourgeois Gentilhomme : « 2 scaramouches, 2 trivelins et un arlequin représentent une nuit à la manière des comédiens italiens, en cadence » . J’ai fait un article là-dessus. Il y a place pour une exécution de la chaconne pour l’Arlequin (Dominique, en 1670) seul. La Montagne a dû bien le connaître, il a dansé cette chaconne avec lui en 1671 dans le Ballet des Ballets. Mais on ne sait pas à quoi était destinée la chorégraphie conservée, encore moins celle du Descan. NB : si un spécialiste de la Commedia dell’arte pouvait nous éclairer sur cette nuit : sérénade, promenade nocturne semée d’embûches... ? - scène de nuit, sans doute avec bourles, quiproquos, etc -Malade Imaginaire : ?? les archers qui se réjouissent d’avoir spolié Polichinelle ? Non : des Arlequins chassant des Polichinelles). D’autant que la similitude des enchaînements et de l’espace n’incline pas à les envisager selon une « histoire » propre. Alors, est-ce un lazzo , et lequel, ou une démonstration, un moment de « virtuosité » ? Mystère.
Je m’attacherais plutôt à étudier la matière engendrée par l’écriture chorégraphique : je pense notamment
- Au jeu de distorsion, décalage, et même « aberration » rythmique, particulièrement chez La Montagne – et l’on sait l’importance du rythme dans la Commedia dell’arte
- La fréquence des “élans brisés“, avancées suivies de reculades, va-et-vient rapides sur les côtés.
- Absence d’équilibres sur une jambe, et omniprésence des pas sautés et des faillis (jeu sur les variations de hauteur et les déséquilibres). Chantal David a montré des jeux de scène qui correspondaient bien à ces échappés-tombés.
- etc.
Évidemment, c’est par la pratique (avec plusieurs interprètes différents) qu’il faudrait travailler ces points en les mettant en rapport avec la « matière » physique des personnages (souplesse, difformité, verticalité ou non, rythme spécifique), mais sans référence obligée au type de jeu, qui n’est qu’une conséquence : je pense ici au rond de manches de Polichinelle.
Il importe de faire donc un travail de recherche sur les traits distinctifs des personnages (moraux et physiques…ce qu’on nomme l’éthos, dans la rhétorique) en s’attachant à l’imaginaire qu’ils véhiculent, à leur représentations et à leur utilisation, en fonction de l’époque concernée : qu’est-ce qu’un Polichinelle au XIXe ou au XXe siècle, au Théâtre, à la Foire, au Carnaval, dans les images d’Epinal ? Je n’ai pour ma part pas trouvé d’iconographie de Polichinelle au XVIIe-XVIIIe avec de larges manches. Mais au XIXe ?
Justement, ce que vous écrivez sur la question des bras m’a fortement intéressé quant à la finalité dramaturgique de ces danses à personnages. Votre étude des bras permet, je crois, d’insister sur le contexte de création de ces danses, sur leurs contraintes stylistiques, au delà d’une théâtralité explicite (Est-ce que le recours aux accessoires, aux gestes, chez Fernand Bousquet, est lié à son parcours scénique ? ), et me pousse plus encore à considérer ces danses (pour ma part je ne peux parler que des chaconnes), non comme des représentations d’actions stylisées, mais comme des présentations, la danse étant l’action en soi (NB : dans le cas d’un spectacle montré aujourd’hui, le problème est entièrement différent, puisqu’il faut l’insérer dans un autre ensemble).
Je me suis un peu égaré dans des problématiques qui relèvent plus étroitement de la danse Baroque. Me relisant, j’ai le sentiment d’avoir énoncé des choses finalement assez banales, en tout cas, pour la plupart déjà travaillées par beaucoup : je pense particulièrement à ce que j’ai pu apprendre auprès de Christine Bayle concernant une approche rhétorique des danses baroques. J’espère toutefois que ces éléments et ces réflexions peuvent faire écho aux questions qui se posent concernant les danses de Polichinelles. Je ne sais pas dans quelles mesures cela peut-être transposé, d’autant que justement le cadre rhétorique, ce que l’on « démontre », ce que les spectateurs attendent, n’est sans doute pas le même.
J’espère enfin que cela suscitera de nouvelles questions, pour nourrir des recherches ou des mises en pratique.
Hubert Hazebroucq 1, rue Puits-Gaillot 69001 Lyon - 0478272935
P.S. Serait-il possible d'avoir de la documentation sur les stages d'ARèS - je suis souvent très -trop- pris, mais si l'occasion pouvait convenir, j'aimerais pouvoir découvrir les danses de caractères - et diffuser l'info... | ||
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Bonjour,
J’ai eu l’adresse de votre site par le biais de l’Association pour un Centre de Recherche sur les Arts du Spectacle aux XVIIe et XVIIIe siècles.
Je n’ai pu malheureusement assister aux rencontres Arlequins de Nantes, mais j’ai été très intéressé par les comptes-rendus et réactions que vous avez mis en ligne à ce sujet.
Pratiquant la danse baroque (au sein de la Cie Christine Bayle – l’Eclat des Muses), j’ai abordé les chaconnes d'Arlequin, et vos réflexions m’ont donné envie de rebondir. Les notes que je joins sont peut-être un peu longues - et vite écrites! - et je ne sais si vous y trouverez "eau pour votre moulin". Elles sont à lire en tout cas comme un point de vue de danseur interprète, et assurément pas de spécialiste - avec donc toutes les lacunes que cela induit. Mais j'ose espérer que cela pourra alimenter le débat.