Brevet de prévôt de danse décerné à Alexandre Confin en 1844 à Vence
Cette image appelle plusieurs remarques :
- Le public (le jury ?) est composé exclusivement d’hommes. On trouve à la fois des civils et des militaires, ce qui laisse supposer une communication entre les deux types de pratique,
- -Le danseur est un civil et son attitude corporelle diffère de celle des brevets militaires : il danse haut sur la jambe d’appui, sa jambe en l’air est dégagée assez haut sur le côté (sans dépasser toute fois les 45°) et ses bras sont en berceau au-dessus de sa tête. Enfin son buste est légèrement penché. Cette attitude est bien différente de l’expression altière des maîtres de danse des brevets militaires, baguette sous un bras et l’autre main sur la hanche.
Ensuite... Les fabriques d’estampes ont continué à fabriquer des brevets de type militaire pendant un certain temps après que celles-ci aient disparues, ce qui a permis à des pratiquants civils des danses de caractères de les utiliser. Ensuite il a fallu, soit en réaliser des reproductions photographiques en noir et blanc comme dans le sud-Sarthe, soit en inventer de nouveaux comme dans le Sud-Est.
À partir de la seconde moitié du XIXe siècle des maîtres formés à l’armée ou dans le civil ont commencé à enseigner les danses de caractères dans différentes régions. L’héritage de cette pratique a été étudié par Jean-Michel Guilcher en Soule (Pays Basque français), par Francine Lancelot dans le Gard et la Provence, puis par Yves Guillard dans l’Ouest de la France. Une autre implantation mériterait maintenant une étude de même ampleur : il s’agit de la région de Toulon et du Var...
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Foires et théâtre au XVIIIe siècle
L’expression “danses de caractères“ apparaît chez François Parfaict en 1743 à une époque ou "caractère" avait la même signification que "personnage" ou "rôle", contenu que ce terme a conservé dans la langue anglaise (il s'agit de la foire de 1728) :
"Nivelon, fils de Nivelon dont j'ai déjà parlé et qui avait autrefois fait tant de plaisir par différentes danses de caractères aux Opéras Comiques, revint en ce temps d'Angleterre, et exécuta dans la pièce d'Achmet et d Almanzine une entrée de Paysan en sabots avec une adresse admirable, toute la légèreté et la justesse possible et dans les attitudes les plus burlesques et les plus contorsionnées. Bien loin de faire paraître aucun effort, il semblait qu'il mettait de la grâce partout ; l'air de violon qu'il dansa était de sa composition."
Le contexte français de ce répertoire était alors celui des grandes foires parisiennes de St Germain et de St Laurent, où des compagnies de "sauteurs et danseurs de corde" présentaient des spectacles d'acrobatie avec tremplins et sauts périlleux, des exercices sur la corde avec des sabots, en jouant du violon, sur le dos, etc. De même, ils avaient à leur répertoire des pièces de théâtre, des pantomimes et de petites danses plus ou moins inspirées de la Commedia Dell’arte. C'est dans ce cadre que les futurs danseurs de l’Opéra faisaient leurs premières expériences.
Entre les périodes de spectacles parisiens certains de ces artistes passaient outre Manche, pour aller s'exhiber dans les foires et surtout dans les théâtres londoniens au moment des entractes.
La pratique militaire pendant le XIXe siècle
Les premiers brevets identifiés ne font aucune allusion à une pratique militaire de la danse, même si certains ont été décernés sur un ponton (le Bahama) et d’autres sur des bateaux.
Le plus ancien brevet de danse militaire actuellement retrouvé date de 1822. Il a été attribué à Cherbourg. Le dernier brevet militaire signalé est celui du basque Hegobürrü Martin et aurait été attribué en 1889.
Ceci témoigne donc d’une pratique militaire des danses de caractères à l’armée pendant une bonne soixantaine d’années. Le répertoire reprenait à la fois l’héritage des danses mimées du XVIIIe siècle et les pas du Quadrille du Premier Empire. Le but était d’utiliser ces pratiques comme entraînement gymnique au même titre que la boxe française, le bâton ou la canne.
Les illustrations des brevets ont tendance à magnifier cette pratique chorégraphique, en représentant de fringants officiers dansant devant un parterre élégant. En effet, cet enseignement s’adressait aux hommes de troupe et donnait lieu à la délivrance de titres de prévôts et de maîtres. Mais ce n’étaient pas des grades militaires. En effet, ces titres ne sont jamais signalés dans les archives de l’armée.
La pratique civile pendant la même période
Pendant toute cette période où la pratique militaire des danses de caractères a été majoritaire, il a cependant existé une pratique civile, comme en témoigne, entre autres, le brevet ci-dessous :
Trois époques de l'Anglaise (de gauche à droite) :
fin XVIIIe John Durang en Amérique,
fin XIXe Joseph Sthorez, militaire au Mans,
début XXe Joseph Ayme à Aramon
GUILCHER Hélène et Jean-Michel, “L’Enseignement militaire de la danse et les traditions populaires”, in Approches de nos traditions orales, Maisonneuve et Larose, Paris, 1970, pp. 273 à 328.
GUILLARD Yves, Danse et Sociabilité, les Sociétés Chorégraphiques dans l’Ouest de la France, thèse E.H.E.S.S., Toulouse, 1995, (non publié).
Danse et Sociabilité, les danses de caractères, l’Harmattan, Paris, 1997.
“État actuel des recherches sur les danses de caractères dans le domaine français”, in Ethnologie Française, 1997, 2., Armand-Colin, Paris, pp. 234 à 243.
Les Points de principe souletins dans l’ouvrage de J.-M. Guilcher, A.R.È.S., Le Mans, 1997.
LANCELOT Francine, Les Sociétés de Farandole en Provence et Languedoc, thèse du 3e cycle EPHE, Paris, 1973, publié en 2000 par A.R.È.S., Le Mans.
VIALE Magali, Les Brevets de danse dans le Sud-Est de la France, maîtrise d’histoire, Nice, 2002, publié en 2003 par A.R.È.S., Le Mans.