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“Le Congrès s’amuse“ (Gravure de Forceval, XIXe s., Paris, BNF)

(IVERNEL Martin, dir., Histoire Géographie 4e, Hatier, Paris, 1998, p. 105)

 

 

Cette image était utilisée dans ce livre pour donner une interprétation politique du congrès de Vienne de 1815. Mais ce qui a tout de suite accroché mon regard, c’était l’attitude de l’Anglais qui, la baguette sous le bras, semblait danser l’Anglaise. Intrigué, j’ai cru également reconnaître le Quadrille dans la danse exécutée par les trois hommes du centre.

 

Diverses approches de cette image sont envisageables.

 

 

 

UNE LECTURE POLITIQUE

 

Observons d’abord les personnages, de gauche à droite :

 

Talleyrand, le négociateur français est adossé au mur. Les bras et les jambes croisés, “il observe“ la scène,“Bien au vent“.

 

À côté de lui, le diplomate anglais,“Lord Castelreagh“, “ballotte“ la baguette sous le bras. Il regarde, lui aussi, les trois personnages centraux.

 

Ce sont les empereurs d’Autriche et de Russie, ainsi que le roi de Prusse qui “balancent“. Ils se tiennent par la main, les bras et jambes en l’air.

 

Plus à droite, le “Roi de Saxe“ “danse terre-à-terre“ en s’agrippant à sa couronne, tandis que l’allégorie de la“République de Gênes“, qui porte le bonnet phrygien, “saute pour le roi de Sardaigne“.

 

 

Une caricature de l’Europe de 1815

 

Cette illustration montre Talleyrand qui attend, isolé, et observe la joie des trois monarques qui se partagent l’Europe centrale après la défaite napoléonienne. Le négociateur anglais est seul lui aussi, car il ne prend pas part aux partages continentaux : il s’est octroyé les lieux stratégiques pour parfaire sa domination maritime du monde (Malte et les Iles Ioniennes, colonies hollandaises et françaises).

 

Enfin, le roi de Saxe fait profil bas. Il peut s’estimer heureux de conserver sa couronne grâce à son revirement de dernière minute en faveur des coalisés, alors qu’il avait appartenu au camp napoléonien jusqu ‘en 1814 (la Prusse lui prend quand même la Lusace).

 

À l’inverse, la république de Gênes “saute“ : elle disparaît au profit du roi de Sardaigne.

 

 

Une caricature mise en scène

 

Cette image forme un triptyque :

 

Le volet gauche présente les pays observateurs. Ce sont les deux puissances du XVIIIe siècle, traditionnellement rivales, gouvernées par des monarchies parlementaires.

 

La partie centrale de l’image montre les acteurs principaux du Congrès : ce sont les trois monarchies continentales qui cherchent à se constituer de vastes empires en se partageant les territoires reconquis.

Enfin, à droite, on peut voir les conséquences du Congrès de Vienne, avec le rétablissement du principe dynastique au détriment de la souveraineté des peuples.

 

 

Une caricature française

 

Plusieurs éléments permettent de voir qu’il s’agit d’une caricature française. Tout d’abord, Talleyrand est représenté, comme d’habitude, sans son pied bot.

 

Par ailleurs, les deux personnages de gauche regardent le centre de la scène, tout comme nous qui lisons l’image de gauche à droite. Ainsi nous voyons, par les yeux de Talleyrand, le spectacle qui lui est donné. L’éclairage, venu de la gauche, accentue cette perception par un effet d’ombres.

 

 

Une caricature consensuelle

 

Mais il est difficile de savoir si cette caricature présente un point de vue révolutionnaire, napoléonien ou en faveur de la Restauration.

 

En soulignant la chute d’une république marginale et la victoire des monarchies absolues, le propos présente, bien sûr, un héritage révolutionnaire.

 

Mais le discours semble, par contre, moins pro-napoléonien que farouchement opposé aux anciens ennemis et vainqueurs de l’Empire. Curieusement, la caricature est peu incisive envers l’Angleterre.

 

Il semble donc s’agir d’une caricature aux options politiques ouvertes et à caractère principalement patriotique. Elle possède l’avantage de créer la cohésion des Français, quelles que soient leurs convictions politiques, tout en se moquant des ennemis extérieurs. Elle est à l’image d’une Restauration tempérée et plus ou moins consensuelle, telle que Louis XVIII souhaitait la personnaliser à l’époque.

 

 

 

L’ANGLAIS, L’ANGLAISE

 

 

Le négociateur anglais danse seul. Et que danse-t-il ? L’Anglaise, bien sûr ! Cette danse est facilement identifiable grâce à la baguette qu’il tient sous le bras gauche.

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Aux origines des danses de

 

L’ANGLAISE

 

AU CONGRES DE VIENNE

 

(1814-1815)

 

Baptiste et Yves Guillard

 

avec la participation d’Yvonne Vart

 

 

J’ai découvert par hasard cette illustration dans un manuel d’Histoire :

Son attitude est similaire à celle de l’autoportrait du danseur américain John Durang, dansant le Sailor’s Hornpipe en 1785, ou à celle du petit danseur de la caricature de Cruikshank (1835). Comme eux, il porte la baguette, mais son costume n’est pas celui d’un marin.

 

 

Dès 1778 cette danse avait été exécutée en France sous le nom d’Anglaise et, si en Grande-Bretagne la baguette allait disparaître au cours du XIXe siècle, en France elle restera le symbole des maîtres de danse jusqu’à nos jours.

 

Cette image montre que l’Anglaise devait être une danse de caractères fort populaire à l’époque du Congrès de Vienne, au point d’être identitaire de L’Angleterre.

 

Le stéréotype de l’Anglais que véhicule l‘Anglaise est celui du marin (sailor). Il est vraisemblablement renforcé par les victoires navales britanniques contre l’Empire napoléonien. Il indique peut-être aussi l’intérêt des Anglais pour acquérir des points stratégiques maritimes.

 

 

Le négociateur anglais “ballotte“. Cette expression renvoie au pas appelé ballotté, expression utilisée en 1805 par Peacock pour décrire un ancien pas de Reel écossais qui est encore utilisé actuellement en Highland Dancing. De même certains auteurs évoquent le “coupé ballotté“ ou le “chassé ballotté“ parmi les pas de Quadrille (T. Wilson et C. Durang).

 

 

 

CARICATURE POLITIQUE,

 

CARICATURE DE LA DANSE ?

 

Les trois personnages du milieu “balancent“ d’une curieuse façon.

 

Ils se tiennent par les mains. Les deux personnages extérieurs ont des postures ridicules : les mains libres en l’air, la jambe extérieure levée, avec le genou et la cheville en flexion. À l’inverse, les jambes du personnage central s’allongent vers le sol, tout en étant sur la demi-pointe. Elles sont légèrement arrondies (tout comme le bras du haut). Il s’agit du tsar Alexandre Ier, seul souverain présent au Congrès. C’est le grand vainqueur de ces négociations, puisqu’il récupère la Pologne. Sur cette illustration, il mène donc la danse et impose ses choix.

 

La position des trois personnages, celui du centre tenant de sa main la main extérieure de ses acolytes et les faisant tourner autour de lui, évoque l'Allemande, danse qui apparaît en France vers 1760, connaît rapidement un grand succès, imprégnant fortement la contredanse française (voir la célèbre gravure du bal paré de Saint Aubin en 1774), puis se confondra par les postures avec la valse naissante.

 

Venant d'Allemagne, comme son nom l'indique, ou plus précisément du landler autrichien, l'Allemande est d'abord décrite pour un couple dans les ouvrages de Dubois : “Principes d'allemande“ et de Guillaume “Almanach dansant pour l'année 1770“ qui expliquent les successions de "tours" et de "passes" sous les bras dont la danse est constituée. Comme la valse qui lui emboîtera le pas, elle est alors très décriée et traitée de danse impudique.

 

 

Au début du XIXème siècle, l'Allemande paraît plus souvent dansée à trois : elle est décrite chez Gergoux (c.a. 1800) ou Collinet ("recueil unique"), avec le Quadrille de contredanses et des danses célèbres de l'époque comme la Monaco, ou le Grand'père ; nous pouvons voir les trois danseurs sur une partition : "n°17, allemande à 3 pour pianoforte à 2 ou 4 mains", "exécutée par Alexandre Casorti et ses 2 sœurs" ; quant au célèbre Saint-Léon, dans son Cahier d'exercices pour les 3 princesses de Wurtemberg, manuscrit de 1830, il note les figures d'une Allemande à 3, pour un cavalier placé au milieu des 2 dames.

 

L'Allemande à 3, très figurative, est très pratique pour les caricaturistes, évoquant la façon dont le cavalier, au centre, mène le jeu ; faisant tourner les dames et leur faisant faire maintes passes sous les bras ; ainsi, une gravure de 1789 nous montre, sous le titre "pas de 3", la noblesse au centre tenant les mains extérieures du clergé et du tiers état, illustrant la réunion des Etats Généraux.

"La Révolution en chantant" de Robert Brécy (Van de Velde-Pirot éditeurs)

 

Montrer trois hommes danser entre eux une figure réservée normalement à un homme et à deux femmes, ajoute au comique et à la charge contre les protagonistes.

 

Enfin, le roi de Saxe “danse terre-à-terre“, c’est-à-dire sans décoller les pieds du sol. Cette expression se retrouve parmi les pas du Sailors’s Hornpipe de Durang, ainsi qu’en danses de caractères.

 

 

 

LA COMPOSITION DE LA GRAVURE RENSEIGNE SUR LES CARACTERISTIQUES DE DEUX FAMILLES DE DANSES

 

 

Le dessin présente une disposition symétrique autour d’un axe central. Des trois personnages centraux, seul celui du milieu (le Russe) danse correctement dans le style du Quadrille en s’élevant sur les demi-pointes, les jambes allongées et dans le rôle du cavalier.

 

De part et d’autre de ce trio, chaque danseur fait un pas différent : l’un « ballotte » pendant que l’autre fait un « terre-à-terre ». Cependant, leur attitude est similaire : le pied d’appui est à plat sur le sol et la jambe d’appui est pliée. Les bras sont également pliés à angle droit, soit le dos de main sur la hanche, soit tenant la couronne sur la tête. Enfin, ils tiennent chacun un objet, baguette ou couronne, symboles d’un pouvoir.

 

Les personnages des deux extrémités ne dansent pas. Si celui de gauche ne nous apprend rien, le personnage qui fait un saut, jambes repliées sous lui, bras resserrés et corps penché en avant, montre par contraste ce qui n’existe ni dans l'Allemande, ni dans les danses de caractères.

 

Finalement, seul l’Anglais n’est pas grotesque en dansant. Ceci est assez logique, puisque sa représentation est directement assimilée à une danse dont il est emblématique. De plus, l’Anglaise (hornpipe du marin) donne la signification de la supériorité navale de l’Angleterre, sans qu’il soit nécessaire de la caricaturer. Le caricaturiste indique qu’“il ballotte“ peut-être pour signifier également que la position du Royaume-Uni est « agitée, secouée en tous sens ».

 

Le pas du roi de Saxe est bien l’illustration du terre-à-terre sur le côté ou devant, le pied à plat, tel que le décrit Giraudet près d’un siècle plus tard.

 

Quant à l'Allemande, il semble que le caricaturiste ait voulu montrer les souverains « balancer » entre plusieurs combinaisons territoriales.

 

 

 

ARRIERE PLAN HISTORIQUE DU CONGRÈS

 

Le 30 mai 1814 le traité de Paris avait ramené les frontières de la France aux limites d’avant la Révolution.

 

Le 1er novembre 1814 s’ouvrait à Vienne un nouveau Congrès pour décider du sort du reste de l’Europe. Il réunissait les représentants de l’Autriche, de la Prusse, de la Russie et de la Grande-Bretagne. Les plus petits États n’eurent pas le droit de s’exprimer. Wellington et Castelreagh représentaient la Grande-Bretagne, le tsar Alexandre 1er la Russie, Metternich l’Autriche et Hardenburgh la Prusse. Les Français étaient officiellement privés de parole, ce qui n’empêcha pas Talleyrand de “tirer les ficelles“ en coulisses.

 

« Le Congrès ne marche pas, il danse » : Les réunions diplomatiques avaient lieu dans un tourbillon de bals, de concerts, d’opéras…

 

Le traité fut signé le 9 juin 1815.

 

 

(renseignements tirés de l’Atlas historique de l’épopée napoléonienne de Angus KONSTAM, Maxi-Livres, 2004, pp. 180 et 181).

 

 

LECTURES

 

FERRERO Guglielmo, Talleyrand à Vienne (1814-1815), Ed. de Fallois, Paris, 1996.

 

Cet ouvrage, rédigé en 1939-40, cherche à réhabiliter le rôle et la personnalité de Talleyrand aux yeux de l’histoire. Bien que d’opinion légitimiste il donne un très intéressant éclairage sur le fonctionnement du Congrès et sur le rôle de trois personnages importants : Talleyrand, le tsar Alexandre 1er et le roi Louis XVIII.

 

GUILLARD Yves, Le Quadrille tel qu'il se dansait à ses origines, La Fricassée, Le Mans, 1988.

 

"EarIy Scottish ReeI Setting Steps and the Influences of the French Quadrille" in Dance Studies vol. 13, Center For Dance Studies, Jersey, 1989, pp. 7 à 109.

 

Les Anciens pas du Reel écossais et l'influence du Quadrille français, La Fricassée, Le Mans, 1990.

 

Fernand Bousquet, maître de danse, A.R.È.S., Le Mans, 1992.

 

Danse et Sociabilité, les Sociétés Chorégraphiques dans l'Ouest de la France, thèse E.H.E.S.S., Toulouse, 1995, (non publié).

 

Farandoles et Danses de Caractères dans le Gard. Tome II, Aramon, A.RÈ.S., Le Mans, 1996.

 

Danse et Sociabilité, les danses de caractères, l'Harmattan, Paris, 1997.

 

RIOU Alain, VART Yvonne, Principes d'allemandes : étude critique et structurale, fac-similé et retranscription, reconstitution, Révérences, Lyon, 1991.